Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Vous serez très bientôt appelés par le Gouvernement à ratifier l’Ordonnance du 26 septembre 2014 en matière d’accessibilité.
Nous, personnes en situation de handicap, personnes âgées, personnes retraitées, usagers des transports publics, usagers de la voirie, parents avec poussettes, familles nombreuses, cyclistes, dénonçons cette Ordonnance qui annihilent les ambitions initiales de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 ; et ce dans un contexte où nous en sommes à 2 lois inappliquées en l’espace de 40 ans (lois des 30 juin 1975 et 11 février 2005) !
Dès l'abord, nous tenons à vous rappeler que, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées a désapprouvé ce texte en formulant un avis défavorable dans la mesure où il ne permettra pas de supprimer à l'horizon 2024 les obstacles que rencontrent au quotidien les personnes dites handicapées qui, comme le souligne l'Organisation Mondiale de la Santé, ne sont souvent restreintes dans leurs « capacités de participation » qu’en raison des obstacles que génère l'inaccessibilité du cadre bâti et des transports.
En effet, si initialement, les Agendas d'Accessibilité Programmée (Ad’AP) constituaient une initiative intelligente en ambitionnant de décrire les modalités du processus de mise en accessibilité du cadre bâti existant, non seulement la demande des Associations de voir leur calendrier de mise en œuvre resserré n'a pas été honorée par le Gouvernement, mais introduisent au contraire une série de dispositions qui vont aggraver les situations que vivent au quotidien plusieurs millions de nos concitoyens.
Ainsi, en ce qui concerne les Établissements Recevant du Public (ERP) :
-- le dépôt d'un Ad’AP qui devait être effectué dans les 12 mois à compter de la publication du texte pourra être reporté pour une durée de trois ans « dans le cas où les difficultés techniques ou financières liées à l'évaluation ou à la programmation des travaux l'imposent »,
-- le délai de trois ans pour réaliser les travaux imposé aux établissements de cinquième catégorie pourra être doublé en cas de travaux importants, et de plein droit pour un propriétaire possédant « plusieurs établissements ou installations » dont un établissement de cette catégorie. Les propriétaires de 50 établissements sur l’ensemble du territoire national - pensons à toutes les chaînes ! – disposeront derechef de neuf ans,
-- Une simple attestation sur l’honneur serait maintenant suffisante pour se déclarer accessible auprès des autorités !
Outre le risque de mauvaise foi par certains acteurs, même les pétitionnaires de bonne foi pourraient s’estimer accessibles en ne pensant par exemple qu’à prévenir certaines situations de handicap sans prendre en compte leur diversité.
-- les commissions d'accessibilité et de sécurité n'auront plus à donner un « avis conforme » ou non, mais un simple « avis », la décision finale revenant au seul Préfet tandis qu'une demande de « dérogation » formulée par le propriétaire ou l'exploitant d'un ERP sera considérée comme acquise dès lors que le Préfet n'aura pas répondu dans un délai de quatre mois (!).
-- Ainsi, des ERP nouveaux tels que des cabinets médicaux ou paramédicaux pourront être ouverts dans des bâtiments d’habitation collectifs existants, même quand ces derniers sont inaccessibles, attestant ainsi d’un retour à la situation antérieure à la loi du 30 juin 1975 puisque cette dernière imposait que tout ERP nouveau soit accessible.
-- les professions libérales qui exercent dans un immeuble d'habitation obtiendront systématiquement une dérogation, et ce sans obligation de présenter une mesure de substitution, ou lorsque la copropriété refuse que soient effectués les travaux de mise en accessibilité. L’apparition de ce 4ème motif de dérogation s’avère inutile, puisque le cas des copropriétés pouvait déjà se résoudre par un des trois motifs de dérogation préexistants (impossibilité technique, conservation du patrimoine architectural, et disproportion économique)
-- les pénalités apparaissent enfin toujours très insuffisantes et trop peu incitatives pour l'ensemble des cas d’inexécution totale ou partielle des ADAP,
Ainsi, en ce qui concerne les transports et la voirie :
_ il n’existe plus de droit aux transports publics ordinaires, puisque l’Ordonnance revient sur le principe de mettre en accessibilité, tous les points d’arrêts, sauf cas d’impossibilité technique. Dorénavant, seuls quelques points d’arrêts, considérés comme « prioritaires », seront rendus accessibles.
-- alors que l'article 45 de la loi du 11 février 2005 stipule que « La chaîne du déplacement... est organisée pour permettre son accessibilité dans sa totalité aux personnes handicapées ou à mobilité réduite », l'Ordonnance supprime les termes « dans sa totalité » et légalise de ce fait l'existence actuelle de nombreux obstacles qui limitent, voire interdisent, la libre circulation des personnes (arrêts de bus inaccessibles, quais de gares inaccessibles, etc.) aussi bien dans les structures existantes que dans les structures nouvelles à construire, et partant favorise la généralisation de transports de substitution,
-- l'élaboration d'un Schéma Directeur d'Accessibilité des transports deviendrait une possibilité et non plus une obligation, ce qui conduit les délais de mise en accessibilité à être repoussés aux calendes grecques, à condition encore que telle ou telle autorité de transports veuille faire un effort en la matière,
-- l'accessibilité des transports scolaires ne serait désormais envisagée que pour les élèves scolarisés à plein temps, et encore sur demande des parents dans le cadre d’un PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) auprès de la MDPH, ce qui supprime l’automaticité du transport ordinaire prévue initialement dans la loi du 11 février 2005.
-- l'obligation d'un Plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE) ne s'impose pas aux communes de moins de 500 habitants, et pour les communes de 500 à 1000 habitants, le PAVE ne concerne que les rues principales. Sans devenir obligatoire pour les bâtiments existants, la mise en accessibilité doit être systématiquement recherchée et réalisée à l’occasion de tous travaux intervenant sur les structures, systématiquement réalisée dans le neuf et la dérogation rester une exception.
Enfin, en ce qui concerne le logement :
-- l'obligation d'installation d'un ascenseur reste fixée à R +4 dans les Bâtiments d'Habitation Collectifs, ce qui induit, selon le rapport de Mme la Sénatrice Claire Lise Campion, à ce qu'aujourd'hui, un appartement nouveau sur trois seulement soit accessible, tandis que guère plus de 15 % de maisons individuelles le sont, le tout conduisant à ce que 70 % des logements nouveaux échappent à l'obligation d'accessibilité.
Tant pour respecter les engagements de l’Etat devant les Français et de la France devant les Nations Unies que pour répondre aux aspirations de nos membres et des Français et surtout mieux préparer de la société au vieillissement, il est fondamental que le seuil d’installation d’un ascenseur soit abaissé à R+3.
Aussi, à l'heure où de surcroît, le Gouvernement présente un projet de loi prétendant viser à « adapter la société au vieillissement des personnes », les Associations et Organisations signataires vous demandent, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, de refuser de ratifier en l'état l'Ordonnance qui vous sera présentée par le Gouvernement et d'exiger de celui-ci qu'il élabore un nouveau texte répondant à l'intérêt général de la population.
Dans cette attente, nous vous prions de croire, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, à l'expression de toute notre considération.
(Ci-joint, l'argumentaire technique pour refuser de ratifier l'ordonnance sur l'accessibilité en l'état : Argumentaires 2.doc )